Roger Winterhalter, lors de la présentation de son livre à l’auberge de jeunesse de Mulhouse. Photo DNA — Grégoire Gauchet
L’ancien maire de Lutterbach Roger Winterhalter fait son coming out sur la guerre d’Algérie. Appelé dans l’armée française en 1960 dans la région de Constantine, il a épousé la cause indépendantiste et est devenu moudjahidin pour le FLN. Il le raconte dans un livre. Sa confession risque de faire grincer des dents parmi les associations d’anciens combattants d’Afrique du Nord, mais Roger Winterhalter n’en a cure. S’il s’est engagé contre son propre camp, « celui d’une armée française autoritaire et indifférente », c’était pour ne pas trahir un idéal de fraternité né là-bas. L’ancien maire de Lutterbach, fondateur de la Maison de la citoyenneté mondiale à Mulhouse, du Magasin pour rien, et grand agitateur d’idées alternatives, raconte son expérience atypique dans un livre souvenir paru aux éditions Le Manuscrit, Si c’était à refaire… Une fraternité plus forte que la guerre d’Algérie. Seconde naissance
Pour cet enfant de Lutterbach né en 1938, l’Algérie a été une seconde naissance.
« C’était il y a 50 ans mais ça m’a marqué des pieds à la tête. Avant, je n’étais pas militant, j’étais un footballeur et un danseur du samedi soir. Je suis devenu un militant par la guerre d’Algérie. J’avais 22 ans, j’y ai passé 27 mois de 1960 à 1962. »
Mais qu’est-ce qui a poussé un jeune appelé français à trahir son pays ? L’écœurement et la révolte, d’abord. « Sur les bords des plages, il y avait des palissades où il était écrit “Interdit aux chiens et aux Arabes”, raconte-t-il. Je me rappelle aussi avoir vu un homme qui avait été torturé ; ses enfants sont venus le voir et nous savions qu’ensuite il serait fusillé ».
Le massacre par l’armée française d’une cinquantaine de personnes « descendues des montagnes » le ramène au souvenir de son père.
« Sous le régime nazi, il n’a jamais dit Heil Hitler, alors qu’à Lutterbach, dans notre rue, les mêmes qui ont sorti le drapeau français à la Libération avaient mis le drapeau nazi à leur fenêtre. Il m’a enseigné qu’on peut dire non à quelque chose. »
Alors Roger Winterhalter dit non. Au sein de son unité, au service des effectifs, chargé de ventiler les recrues dans les différents régiments, le soldat de 1ère classe parle avec un camarade « Français de souche nord africaine », un FSNA comme on dit alors. « Comment peux-tu rester dans cette armée ? », lui demande-t-il.
Mahfoud lui donne rendez-vous le soir à l’infirmerie.
« C’était une cellule FLN infiltrée dans l’armée française. Ils m’ont dit : “Voilà qui on est et ce qu’on fait. Es-tu prêt à t’associer avec nous ?” J’ai dit oui, ça m’a vraiment libéré. »
Son rôle est alors d’infiltrer des gens dans l’armée française. « Le FLN me donnait trois-quatre noms et je falsifiais les papiers pour les faire envoyer là où ils voulaient qu’ils aillent. On volait également des uniformes, des munitions, et on a organisé la désertion de 17 personnes. »Reçu par le président Bouteflika
À l’indépendance en mars 1962, Roger Winterhalter revient en Alsace et adhère au PSU. C’est le début d’une autre vie qui le conduira à être maire de Lutterbach de 1977 à 2001, sans que ses administrés ne sachent que leur premier magistrat a été « un moudjahidin ». Il est depuis resté en contact avec ses compagnons du FLN et est retourné une dizaine de fois en Algérie depuis 1967. Il y a été reçu par le président Bouteflika.
Dans la seconde partie de son ouvrage, l’ancien appelé passé au FLN retranscrit ses conversations avec Mahfoud, Kemal, Mohammed, Ahmed, leurs convergences, leurs divergences. « Moi qui suis fils unique, mes frères ce sont eux », dit-il cinquante ans après. « Notre objectif, c’était que les gens qui nous entouraient, qu’on appelait les “bougnoules”, retrouvent leur dignité. Je ne regrette pas, c’était mon histoire et elle a fait de moi un militant. »
Courrier des lecteurs
Publié le 19/08/2012 à 05:00
Guerre d’Algérie « Qu’en pensent les familles qui ont perdu un des leurs ? »
La parution le 9 août dans nos colonnes d’un article consacré à Roger Winterhalter et à son livre, Si c’était à refaire… , dans lequel l’ancien maire de Lutterbach (Haut-Rhin) relate qu’il a travaillé clandestinement pour le FLN alors qu’il était sous les drapeaux au sein de l’armée française pendant la guerre d’Algérie, a suscité une vague de réactions indignées.
Faute de pouvoir les passer toutes dans leur intégralité, les DNA en livrent les extraits les plus significatifs.
« Cet article m’a profondément surpris et mis mal à l’aise », écrit Claude Garcia, président de la section Bas-Rhin de la Fédération Nationale des Rapatriés.
« En effet, tout acte de collaboration est passible du conseil de guerre. Or, c’est bien ce qu’a entrepris Roger Winterhalter tout au cours de son service militaire […] En tant que chef de famille, je me mets à la place des parents qui ont perdu un fils à la guerre. »
Même indignation chez Jean Delbecq, de Thanvillé, ancien combattant de la guerre d’Algérie : « Qu’en pensent les familles qui ont perdu un membre pendant ce conflit, qu’en pensent les autorités et les associations d’anciens combattants !
Le ‘’moudjahidin’’ a été maire alors qu’il devrait être interdit de vote. Il est certainement un traître d’après ce qu’il avoue avoir fait ».
« Comment peut-on se glorifier de « trahison » envers sa patrie et surtout de la part d’un ex-maire ? », interpelle Roland Goetz, de Turckheim. » Ne serait-ce que par respect pour les 30 000 morts qui ont fait leur devoir, ce monsieur aurait mieux fait de se taire. »
« L’auteur perçoit-il la retraite semestrielle du combattant ? », s’interroge Jacques Langard, un lecteur domicilié à Metz. « Roger Winterhalter aurait pu réclamer le statut d’objecteur de conscience, bien plus noble et courageux. Son père aurait pu lui apprendre la Libération de l’Alsace par des volontaires français, dont des pieds-noirs. »
Enfin, pour Paul Hebting, de Strasbourg : « L’honneur d’un homme s’exprime par le fait de faire son devoir. Il peut également s’exprimer par le refus de servir son pays, dans une guerre qu’il ne soutient pas. Dans ce cas, cet homme le fait savoir et prend le risque d’encourir les sanctions judiciaires qui sont prévues.
Personnellement, j’aurais tout à fait compris une telle attitude. Pendant ces 50 années écoulées, a-t-il pensé une seule fois à ces parents qui ont vu leurs fils partir et revenir dans un cercueil, à ceux qui sont revenus blessés, traumatisés moralement, et ont perdu toutes leurs illusions de jeunesse ?
Un livre à ne pas lire !
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