Histoire de la Seybouse suite. Un vrai western de notre jeunesse au ciné. Les
bons, les méchants et la cavalerie.
A quelques semaines de là, en effet, soudainement, en plein mois de Juin 1851, par une chaleur qui accablait tout le monde ; le proche centre de Barral qu’on appelait aussi Mondovi le haut, se réveilla sous le coup d’une terrible alerte. C’était les
indigènes des tribus environnantes qui, après avoir commis des vols, massacré quelques ouvriers forestiers et incendié les récoltes, venaient de se soulever en masse du coté de Maison-Blanche, de
l’autre coté de la Seybouse. Excités par les prédications de leurs marabouts, entrainés à la révolte par certains caïds traitres à leurs serments de fidélité à la France ; ils eurent bientôt
passé la rivière pour s’attrouper à proximité du moulin de Barral, où leur audace prit le caractère d’une insurrection des plus sérieuses.
Pour tous moyens défensifs, les colons ne possédaient que
quelques fusils de chasse et fort peu de munitions. On peut donc juger de leurs craintes en voyant s’approcher des centaines de cavaliers en burnous, hurlants, menaçants, et suffisamment armés
pour donner l’assaut à leurs remparts minuscules.
Devant un si grave danger, un des habitants du village cerné fut désigné pour enfourcher un cheval et aller à
toute bride prévenir le commandant de la place de Bône de la situation critique où se trouvaient ces malheureux. Quelques heures plus tard,
l’autorité militaire devait envoyer sur les lieux un fort détachement de spahis sous les ordres du capitaine Mesmer, et d’un lieutenant qui par la suite, devint général.
Mais que faire en attendant l’arrivée de cette troupe ? Il fallait tenir tête tant bien que mal aux
assaillants, et c’est alors qu’un colon barallois eut une idée vraiment originale. On ne connaissait pas encore la charrue fixe. Nous ne nous servions que de la charrue à avant-train qui se
démontait facilement. Or, voici ce qu’imagina notre homme : Il hissa l’avant-train d’un de ces instruments sur l’un des bastions à créneaux de l’enceinte fortifiée et braque sur cet affut
improvisé un long tuyau de poêle. Les arabes prirent cela pour une pièce d’artillerie et s’en tinrent éloignés le plus possible. Bien entendu, en voyant l’effet produit par cet épouvantail,
d’autres colons eurent tôt fait de recourir au même stratagème ; ce qui augmenta la terreur des insurgés embusqués prudemment à une distance respectueuse de ces canons imaginaires. Pendant
ce temps de répit, les spahis mandés de Bône arrivaient à fond de train. Je pus les voir débusquer à Mondovi, où toute la population était elle-même sur le qui-vive. Ah ! Le magnifique
escadron ! Par la chaleur étouffante, les cavaliers rouges étaient couverts de poussière et leurs chevaux d’écume.
Au plus vite, on versa un verre de vin frais aux hommes ; on fit boire les bêtes, puis sur un
commandement, tout le monde étant remonté en selle, le détachement repartit ventre à terre dans la direction de BARRAL où il était anxieusement attendu. Derrière lui, à marches forcées, accourait en outre une forte compagnie de fantassins.
Le capitaine Mesmer, emporté par sa bravoure et par l’élan de son cheval, meilleur coursier que tous les
autres, entra le premier dans le village ; mais à peine laissa-t-il souffler sa monture. Sa troupe, regroupée, il se mit de nouveau à galoper en avant de l’escadron pour se porter à la
rencontre des rebelles. Cette imprudence devait lui couter la vie. Avertis par leurs émissaires de la prochaine arrivée des spahis, les arabes avaient repassé la Seybouse pour se retrancher dans
l’épaisse broussaille bordant la rivière .Dans cette embuscade où ils se tenaient invisibles, armés de leurs longs moukalas, ils attendaient les nôtres .En apercevant le capitaine isolé de ses hommes, ils le mirent en joue et le criblèrent de coups de feu. L’officier
s’écroula sous cette décharge terrible, et ses cavaliers n’arrivèrent que pour disputer sa dépouille à ses meurtriers. Alors, fous de rage en voyant leur chef mort, les spahis résolus à le
venger, se lancèrent à la poursuite des insurgés, en tuant un grand nombre et faisant les autres prisonniers. Grace à cette offensive foudroyante,
appuyée le lendemain par l’entrée en scène de 200 fantassins, Barral fut sauvé du péril qu’il avait couru ; car les révoltés avaient juré d’égorger tous les habitants. Après quoi ils se
seraient rués sur Mondovi, où le même sort nous eût été réservé.
La suite voudrait que les méchants changent de camp. Il y a de la matière pour cela. On verra bien.
Victor