Published by francis.mauro
Derniers instants d’un mort pour la France. 05/02/1958 Mechta Dramna. 4e Régiment de Hussards. .EST Constantinois.
Il marchait sous un soleil brûlant, éblouissant de lumière, il marchait ; il pensait à quoi ? à rien et à tout, à. sa dernière permission, à la prochaine, que pouvait bien faire, Marie, en France en ce moment ? Sa Chère Marie, ils allaient se marier à son retour dans quelques mois. Il voyait déjà son mariage, l’église, le Maire, sa famille, les amis. Ses idées se bousculaient allant d’un sujet à un autre.
Il n’arrivait pas à fixer ses idées sur une chose précise, il avait trop mal aux jambes.En plus il crevait de chaud. Son treillis lui collait à la peau. Il voyait les auréoles blanches du sel qui séchait sur ses manches de veste. Il fallait qu’il prenne ses cachets de sel, sans cela il allait être malade, le toubib le lui avait dit.
Il marchait le regard sur le sol évitant les brindilles et les cailloux qui pouvaient le faire tomber. De temps à autre il levait le regard sur les hommes qui marchaient devant lui. D’un coup de rein il remettait son sac en place sur son dos meurtri. Tout en marchant, il prenait son bidon déjà presque vide, pour boire une petite gorgée d’eau déjà tiède. Son pistolet-mitrailleur commençait à devenir lourd dans ses mains moites.
10 Heures du matin, il n’arriverait jamais à avoir assez d'eau jusqu'au soir. Il reprenait sa marche sans un mot suivant la colonne.
-Colonne par un ; distance 20 mètres, armes à la main ! avait gueulé le lieutenant. Ces mots raisonnaient encore dans son pauvre crâne douloureux de fatigue et d’insomnie, d’un corps au bout de ses réserves. Ça faisait de longs mois que chaque jours et nuits c’était le même cirque. Les marches dans les Djébels à la recherche d’hypothétiques rebelles, l’été dans la chaleur, et l’hiver sous la pluie et le froid.
Il marchait sans répit, il marchait, la trouille au ventre, la gorge sèche, prêt à toute éventualité, c’était le destin des jeunes de 20 ans dans ses années de maintien de l’ordre en Algérie.
Il y avait quelques mois, il ne savait rien, même pas où était ce pays et encore moins ses frontières, la vie et ses habitants, c’était si loin l’Algérie de la France.
Il se demandait, que faisait-il dans cette montagne où il n’y avait rien que des creux et des bosses, avec des gourbis ici et là accrochés sur ses pentes. De maigres troupeaux de petits éleveurs subsistaient par miracle en cherchant leur illusoire pitance dans la rocaille.
Il pensait à sa verte prairie de France, aux herbes grasses, aux troupeaux paissant en toute tranquillité.
Á présent il était devant une porte vétuste d’un vieux bois crasseux.
Qu’est-ce que je fous ici ? pensait-il
« Il faut ouvrir cette porte du gourbi ! avait dit le capitaine ».
Une rafale d’arme automatique soudain retentit toute proche de lui, une brûlure atroce lui déchira la gorge ;Il vacilla, fit quelques pas, et s’écroula à genoux sur le sol caillouteux, regardant dans les yeux le capitaine penché sur lui.
Il ne sentait plus rien, il entendait des autres rafales, il voyait des hommes en uniforme s’agiter, puis des cris. Il ouvrit la bouche voulant crier. Pas un son ne sortait de celle-ci..Il porta ses deux mains à sa gorge pour contenir le flot de liquide chaud qui coulait entre ses doigts…..Il ferma les yeux, puis les rouvrit.
Alors il regarda tous ses copains devant lui, allongés sur le sol tirant sur les buissons environnants. …Alors il comprit que pour lui tout était fini. Il regardait son sang s’éprendre sur le sol par saccades, se vidant de son corps.
Il ne sentait plus rien, sinon qu’une douce euphorie le gagnait, il avait soudain envie de rire ou de pleurer, il ne savait plus. Il était si bien, alors il se coucha, se recroquevilla, comme pour s’endormir. Oui ! c’était cela, il allait s’endormir, il était si fatigué. Plus tard il se remettrait à penser, à présent il n’avait plus le droit de penser.
Il était mort,en se vidant de sa derrière goutte de sang, sur cette terre d’Algérie Française. FM.écrivain, societaire des écrivainx combattants.