Récit :
20 ans en Algérie.
Situations du récit : 4ième Régiment de Hussards, 1ier Escadron, 2e peloton. Région de Mondovi, douar Talha, Beni Mezzeline, Oued Frarah.
MDL. Mauro.
Mai 1957, opération de ratissage. Depuis 4 heures du matin nous marchons, l’escadron au complet accompagné du bruit assourdissant des T6 qui tournoient au dessus de nos têtes.
Il doit être 10 heures, le soleil cuit nos visages ruisselant de sueur, nos treillis trempés collent à notre peau.
Nos équipements commencent à être de plus en plus lourds. Nos pieds sont pesants et douloureux à chercher leur chemin dans la rocaille et les broussailles. Nos bidons presque vides sonnent le creux sur nos hanches.
Cela fait plus de huit jours que nous jouons le même scénario chaque jour sur ce terrain fait de lentisques et de rochers entrecoupés de chêne liège calcinés dans un dédale de djébels et d’oueds.
Ratissage et bouclage. Je commence à vraiment fatiguer, de plus j’ai un mal de dent qui devient insupportable avec une joue enflée qui fait rire les amis.
Nous sommes en ligne sur plus de deux cent mètres en avançant méthodiquement fouillant du regard les moindres anomalies du terrain, l’arme à la main prête à faire feu.
Personne ne parle, la ligne continue inexorablement sa progression. Dans nos têtes, les pensées les plus diverses se bousculent. Je pense que cette fois encore nous allons être surpris par des coups de feu, venant de nulle part et que l’ennemi va encore nous échapper.
« Comme c’est con la guerre » me dis-je. Et ce mal de dent qui n’en finit pas et pourtant il faut marcher. Je n’en peux plus, vivement que cette opération se termine et j’irais voir le toubib pour qu’il me donne quelque chose pour atténuer ce mal de dent. Je n’ai vraiment pas envie de sourire, me contentant de marcher un pas après l’autre secouant ma peine.
À présent il doit être bientôt midi, avec un peu de chance le capitaine va nous dire de faire une pause pour ouvrir nos boîtes de rations et casser la croute, ou moins, je vais pouvoir me reposer et essayer de ne plus penser à ce mal de dent. Manger, il ne va pas en être question pour moi avec ce mal de dent.
Vraiment, je suis assez malheureux de ma situation et je me maudis de m’être engagé dans cette galère. Je pouvais attendre que l’on m’appelle comme tout le monde. Qu’est que je faisais ici ?
Je regardais le groupe de commandement qui s’approchait de moi, enfin une bonne nouvelle, le capitaine allait sûrement dire de nous arrêter pour manger.
Quand il fut à ma hauteur, il fit signe au radio de se rapprocher de lui. Il conversait avec les T6 qui continuaient à nous raser en nous saoulant de leurs vrombissements.
Ne prêtant pas plus attention que cela aux palabres du capitaine, j’entendis soudain une phrase qui me fit bondir :
-Oui, nous sommes bien le 13 mai !
Le 13 mai, mais alors, j’ai 20 ans aujourd’hui ?
D’un coup je n’avais plus mal aux dents, et je m’empressais de le dire aux copains :
-Eh les gars, j’ai vingt ans aujourd’hui, ce n’est pas beau ça regardez le décor. Les regards tristes de mes amis me dirent qu’il fallait mieux me taire et ne pas les ennuyer avec ces choses futiles.
J’avais eu mes 20 ans dans l’ignorance la plus totale. Je continuais avec mon mal de dent sans plus parler, oubliant ce beau jour de ma vie qui fut complètement estompé dans cette guerre.
Pourquoi je m’en souviens si bien, je pense que c’est à cause de ce mal de dent, qui fut mon cadeau d’anniversaire là bas en Algérie, un jour comme un autre, pour nous les petits soldats de la France en maintient de l’ordre en Algérie.
Francis Mauro.
Published by francis.mauro